Dominique d'Esmé : j'ai parfois le sentiment qu'on a perdu le principe de prendre son temps
- Admin
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Rappeler une énième fois son palmarès serait pour le moins redondant, tant, à désormais 80 printemps, Dominique d'Esmé continue d'incarner le dressage français. Sur les hauteurs de Pont-l'Evêque, presque cachée au cœur de "son" Mont Saint Léger, Dominique d'Esmé se fait certes un peu plus discrète autour des carrés mais n'en garde pas moins le regard et le verbe affûtés. Entre stages, leçons et travail de ses chevaux ...ne lui demandez pas si elle monte toujours à cheval. Évidemment !
Difficile de savoir où regarder. Partout où le regard se pose, les souvenirs de sa carrière sportive appellent une question, une anecdote. Les ombres du feu qui crépite dans la cheminée dansent sur les photos et les trophées ; elles détourneraient presque l'attention de Bernadette qui passe devant la fenêtre du salon et continue, depuis bientôt 50 ans (!) de s'affairer auprès des chevaux avec autant de passion et dévotion. "Tu parles d'un changement de dizaine ! " introduit la normande avec une pointe d'espièglement et le tempérament qu'on lui connait. Du caractère, Dominique n'en manque décidément pas, pas moins que son mari Christian d'ailleurs ; un couple, et ceux qui les ont suffisamment approchés peuvent en témoigner, à la douceur attachante.
Reims, Sans Atout, Fresh Wind, Thor, Arnoldo, Ultimate, Be Happy, Prince Balou, Wineur, Roi de Cœur et quelques autres ... ils sont tous là, presque immortels, les 28 chevaux de Grand Prix qui lui ont permis de parcourir la planète lors de 5 Jeux Olympiques à Montréal, Los Angeles, Séoul, Barcelone et Atlanta, ou encore Kiev, mais aussi Stockholm où elle remportait une étape de la Coupe du Monde. Avec le CV qu'on lui connait, il en faut donc un peu pour l'impressionner ... mais il n'y a pas besoin de l'amener sur le sujet pour la voir, comme bon nombre, s'enthousiasmer sur un certain couple belge ... " voir Justin Verboomen et Zonik Plus travailler est assez extraordinaire car ce cheval, encore très jeune, fait tout, sans contrainte. Ils sont toujours d'une grande légèreté et donnent le sentiment d'avoir une entente extraordinaire. Sur les 10 dernières années, c'est certainement ce que j'ai le plus apprécié regarder. Par le passé, un autre cheval de grande qualité me vient à l'esprit, Granat, monté par la suissesse Christine Stückelberger dans les années 80, un cheval difficile, mais qui fait partie des grands chevaux que j'ai apprécié ".
Avec 40 ans de carrière au compteur de 1972 à 2012, Dominique a donc vu le dressage évoluer " je ne dirai cependant pas que c'est pire ou mieux qu'auparavant car je ne veux pas tomber dans la facilité du « de mon temps c'était mieux que maintenant ». Néanmoins, aujourd'hui comme hier, je regrette encore que, parfois, les cavaliers ne réfléchissent pas suffisamment à ce que sont leurs chevaux : un de mes principes de base à toujours été, lorsqu'on demande quelque chose à un cheval et qu'il ne le réalise pas, de se demander pourquoi. Est-ce que je l'ai mal demandé ? Est-ce qu'il l'a mal compris ? Ou en est-il juste incapable physiquement ? Si on ne se pose pas ces questions en permanence, l’écueil peut être de tomber dans la facilité de la brutalité. Peut aussi que les chevaux sont aujourd'hui plus doués et nés pour cette discipline et qu'ainsi la question de leur capacité ou a exécuté tel ou tel exercice n'est parfois même plus envisagée. Quoi qu'il en soit, la brutalité fondée sur la recherche de la rapidité, ne fonctionne de toutes manières pas vraiment : quand bien même quelques résultats soient obtenus, ils ne durent jamais puisque les chevaux de sont plus avec mais contre leur cavalier. J'ai parfois récupéré des chevaux fous de rétivité, simplement parce qu'on leur avait demandé des choses qu'ils ne pouvaient pas faire à ce moment là. Quoi qu'il en soit, j'ai parfois le sentiment qu'on a perdu le principe de prendre son temps, de demander peu ; un constat qui n'est probablement pas seulement propre au dressage mais à à la société dans son ensemble" explique et concède-t-elle tout en poursuivant " moi, j'ai quasi tout appris en regardant les autres, en particulier à Aix la Chapelle. A 5h du matin, j'étais aux bords du rectangle, en train d'observer les cavaliers détendre et travailler".
Avec son record de longévité en équipe de France, s'il est un sujet qu'elle connait mieux que personne, tant elle l'a expérimenté, c'est bien le haut niveau et ses petites histoires. Ses hauts, ses bas, son quotidien, ses difficultés aussi, "je crois que le manque de sponsors est en partie la cause du développement moins rapide de la France connait par rapport à d'autres nations. D'un autre côté, les sponsors arrivent avec les résultats, c'est donc un cercle vicieux. Le retard de l'élevage a longtemps été pour quelque chose, les bons chevaux nés en France existent maintenant mais ils sont encore plus rares qu'à l'étranger, le réservoir est donc moindre et les chevaux souvent plus difficiles à trouver et coûteux. Au delà de ça, j'ai le sentiment que nous n'avons pas forcément la discipline des autres nations. Notre enseignement de base est sûrement moins rigoureux et technique".
A quelques heures du passage vers la nouvelle année, Dominique sait déjà où elle sera du 10 au 15 août : devant sa télé, petit chien à proximité, pour les Championnats du Monde d'Aix la Chapelle, 20 ans après ceux qu'elle courait en 2006 ; une arène qu'elle connait par cœur pour y avoir piaffé et passagé, excusez du peu ... 27 fois !
Bon anniversaire Dominique !
crédit photo : coll privée























