Jeux Olympiques : le rendez-vous qui rend fou
Il y a les Championnats Nationaux, les Championnats d'Europe, les Championnats du Monde. Et puis, il y a les Jeux Olympiques : tous les 4 ans, ils rythment l'actualité sportive et le calendrier de celles et ceux qui ambitionnent d'y participer ; une forme de rareté, une temporalité, qui confèrent aux athlètes sélectionnés un statut particulier dans notre société, une forme de respect qui leur est manifestée. Il y a, en somme, les athlètes olympiques et il y a les autres.
Pourtant, et malgré l'extraordinaire ferveur populaire suscitée par une l'approche d'une olympiade, le sport ne met pas que les corps à rude épreuve mais aussi les esprits. Sergey Bubka à Barcelone en 1992, Marie José Pérec à Sydney en 2000, Naomi Osaka à Tokyo en 2021 ne sont quelques petits exemples issus de l'Histoire contemporaine qui prouvent, si tant est qu'il le faille encore, que les athlètes les plus acclamés peuvent eux aussi s'effondrer et contre-performer. Que dire des chiffres relayés par la presse : selon une étude réalisée en 2021 sur 394 athlètes britanniques ayant participé aux Jeux Olympiques et paralympiques et issus 29 sports, 24% ont déclaré ressentir ou avoir ressenti une détresse psychologique élevée ou trop élevée pour eux.
Difficultés à absorber les ambitions de leurs fédérations, multiplication des sollicitations, obligations médiatiques, incapacité à digérer un résultat, à trouver la motivation de poursuivre sa carrière ou à accepter le retour à un certain anonymat passé ce tourbillon ; voilà seulement quelques causes possibles d'une dépression dont ne se sont pas cachés les plus grands, comme le nageur Michael Phelps, le rameur français Champion Olympique en deux de couple Hugo Boucheron, le skieur Nick Goepper qui évoquait même ses pensées suicidaires ; un acte de désespoir que commettait malheureusement la cycliste néo-zélandaise Olivia Podmore quelques heures seulement avoir avoir publié sur son compte Instagram “ le sport est un exutoire incroyable pour tant de gens, c'est une lutte, un combat mais c'est tellement joyeux. Le sentiment lorsque vous gagnez ne ressemble à aucun autre mais le sentiment lorsque vous perdez, lorsque vous n’êtes pas sélectionné même si vous vous qualifiez, lorsque vous êtes blessé, lorsque vous ne répondez pas assez aux attentes de la société telles que posséder une maison, un mariage, des enfants, tout cela parce que vous essayez de tout donner à votre sport, ne ressemble à aucun autre “.
À quelques semaines des Jeux Olympiques de Paris et alors qu'une certaine fébrilité marque toujours l'approche des sélections, Dressprod a souhaité creuser le sujet avec 2 cavalier(e)s olympiques. Leurs identités et nationalités n'ayant finalement que peu d'intérêt, choix a été fait de les anonymiser non seulement pour leur offrir davantage la liberté de s'exprimer mais aussi pour apporter une légèreté contraire au sujet. Nous les nommerons Denis Raud et Florence Riot :).
Les Jeux ont été la meilleure année de ma carrière sportive mais [...] la pire au niveau émotionnel. Ce qui m'a sauvé(e), ce sont les chevaux.
"Les Jeux Olympiques représentent le Graal pour tous les sportifs. Comparés à des Championnats d'Europe ou des Jeux Mondiaux, les athlètes n'évoluent pas qu'avec leur discipline, dans le cas des cavaliers de dressage leur microcosme, mais sont au contraire liés à tout un pays qui les soutient, à tous les autres sports, surtout lorsque les fédérations font le choix de vivre au cœur du village olympique “ introduit Denis Raud avec encore, quelques années plus tard, une forme d'excitation et d'enthousiasme dans la voix qui ne cherche pas à cacher l'envie de se voir à nouveau sélectionné(e) ; une expérience exceptionnelle, hors du temps, qui est déjà diversement vécue, comme le souligne d'emblée Florence Riot, beaucoup plus modéré(e) que son/sa collègue “ Les Jeux Olympiques ont été une expérience particulière car nous sommes partis longtemps, sans nos conjoint(e)s qui ne sont arrivé(e)s que la semaine précédent le début des épreuves. Je me suis donc senti(e) isolé(e) et esseulé(e) “.
Si du côté de Denis Raud, l'escapade olympique reste donc une parenthèse pailletée pour laquelle il/elle se verrait bien rempiler "je ne garde que de bons souvenirs des Jeux Olympiques même si je dois reconnaître que ce n'était pas forcément le rêve de ma vie mais plutôt le fruit de la rencontre avec mon cheval", pour Florence Riot ce fut une épreuve, dans tous les sens du terme, qu'elle n'est pas prêt(e) d'oublier et qu'elle se remémore avec une forme d’amertume pas tout à fait digérée " je ne garde pas un excellent souvenir des Jeux Olympiques car c'est la pire expérience sportive de ma carrière ", avant d'expliquer " la veille de la première épreuve, l’entraîneur auquel ma fédération faisait appel, m'a fait(e) travailler d'une manière que je ne comprends toujours pas aujourd'hui. Sur le coup, j'ai obéi mais j'avais bien conscience que cette séance ne serait pas sans conséquences pour le lendemain et, de fait, mon cheval s'est fâché ce qui a gâché mon expérience olympique alors que nous étions prêt(e)s. Sur le coup, je n'ai pas réussi à analyser d'autant que je n'ai jamais eu d'explications sur les intentions de cette fameuse séance ".
j'ai traversé un épisode dépressif
Désemparé(e) face à cette contre-performance dont elle/il ne s'estime pas responsable, elle/il poursuit " quand je suis rentré(e), j'ai été confronté(e) à la presse, très critique, j'ai eu le sentiment de me faire démolir et je me suis pris(e) une vraie claque, surtout au regard des très nombreuses concessions et sacrifices qu'on doit faire pendant des années lorsqu'on envisage de participer aux Jeux Olympiques. J'ai trouvé ça assez dégueulasse et ça a clairement affecté mon envie de poursuivre ma carrière sportive à haut niveau. Je pense pouvoir dire que j'ai traversé un épisode dépressif car j'ai eu le sentiment que les choses m'échappaient. Le retour des Jeux Olympiques a été très difficile : non seulement j'étais sous le choc de notre contre-performance mais j'ai aussi été très peiné(e) de voir mon cheval en revenir totalement épuisé . Quant à moi, j'ai eu le sentiment d'être totalement oublié(e) à mon retour, de n'intéresser plus personne."
j'ai eu le sentiment d'être totalement oublié(e) à mon retour, de n'intéresser plus personne
Denis Raud a lui aussi très mal vécu son retour des Jeux Olympiques, certes pour des raisons différentes mais avec, en partie, les mêmes conséquences " avant les Jeux, tout le monde est là pour vous, le téléphone sonne tous les jours, que ce soit pour préparer les aspects administratifs ou répondre aux sollicitations médiatiques et, du jour au lendemain, tout s'arrête et c'est très violent. Après les Jeux, je me suis senti(e) délaissé(e) car, une fois l'objectif atteint, j'ai eu le sentiment de ne plus exister, de retourner à mon quotidien et parfois ses galères : un tel événement nécessite une absence assez longue [...], en rentrant, je me suis retrouvé(e) un peu seul(e) à être cavalier(e), palefrenier(e) etc … car il fallait aussi laisser souffler celles et ceux qui avaient assuré pendant mon absence. Revenir à la réalité a été très difficile, une vraie claque (ndlr : on notera le hasard de l'usage de la même expression ...), car les JO sont un incroyable ascenseur émotionnel d'autant que, contrairement aux cavaliers de CSO ou des gens comme Patrik Kittel ou Isabell Werth qui ont des systèmes comparables, la majorité des cavaliers ne sont pas dès le week-end suivant sur des concours importants avec leurs autres chevaux de Grand Prix". Il/Elle avoue également " je n'avais pas conscience que les choses se passeraient de la sorte car la préparation est centrée sur la compétition mais au retour la routine qui s'est installée disparaît. Le retour à la réalité est quelque chose sur lequel il faut travailler. Je ne sais pas qui doit prendre cet aspect en charge ou si ce doit être une démarche personnelle mais je peux dire que je me suis senti(e) dans une phase dépressive pendant un certain temps. Les JO ont aussi eu une part de responsabilité dans des difficultés personnelles que j'ai traversées car beaucoup de temps leur a été consacré au détriment d'autres choses ; des sacrifices qui ne sont pas sans impact et qui peuvent, à juste titre, donner le sentiment qu'on délaisse sa famille, ses proches et ses amis. Les Jeux ont été la meilleure année de ma carrière sportive mais certainement la pire au niveau émotionnel. Ce qui m'a sauvé(e), ce sont les chevaux " conclue-t-il/elle.
du jour au lendemain, tout s'arrête et c'est très violent
Si D.Raud a trouvé seul(e) l'énergie d'avancer grâce à ses chevaux, F.Riot a eu besoin de se tourner vers un(e) professionnel(le) " j'ai dû faire appel à un(e) spécialiste du mental pour retrouver l'envie de faire de la compétition d'autant que je n'ai pas trouvé d'oreilles particulièrement attentives à ma déception, que ce soit auprès des autres cavaliers de mon pays ou de ma fédération ... ".
Interrogés justement quant au rôle de leurs fédérations, aucun(e) des cavalier(e)s sollicité(e)s n'estime avoir souffert d'une forme de pression à la performance que ce soit pendant la période de sélection ou lors de l'échéance, Denis concédant même " je me suis mis(e) moi même la pression, je n'ai eu besoin de personne pour ça”. Bien que ces quelques échanges n'offrent qu'une vision partielle et sûrement un peu binaire de l'expérience olympique, Dressprod échangeait aussi sur le sujet avec Ruby Stein, Sammy Neraud, Martine Nee et Sandra Aït : 4 autres interlocuteurs qui confiaient eux aussi avoir de quoi s'exprimer sur le sujet. Si des difficultés de coordination des emplois du temps en auront finalement décidé autrement, l'intérêt qu'ils manifestaient d'emblée pour le sujet ne faisait que confirmer la nécessité de relever et souligner l'autre réalité des Jeux Olympiques.
Alors tentons de garder à l'esprit, lorsque nous verrons ces cavaliers s'avancer, et notamment les 3 qui auront été sélectionnés, que même lorsqu'on n’a aucune chance d'être médaillé, pour ne serait-ce que participer il y a parfois un prix à payer qu'on devrait peut-être davantage conscientiser.
crédit photo : wikipedia Anne Jea Attribution-ShareAlike 40